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GENESE D'UNE MORALE MATERIALISTE
Les passions et le contrôle de soi chez Diderot
IDA HISASHI
La pensée de Diderot, qui recommande, dans son premier moment, une libération des passions aboutissant à une poétique de l'enthousiasme, fait ensuite une place au souci de la maîtrise des passions, sur le plan esthétique comme sur le plan moral. C'est ainsi que Diderot disqualifie la sensibilité comme une faiblesse des organes corporels. Cette primauté du principe du sang-froid n'exclut pourtant pas le rôle bénéfique des passions et de la sensibilité. La critique de Diderot vise plutôt la sensibilité physique, dont la force primitive perturbe le contrôle de soi, et qui, érigée par les philosophes matérialistes contemporains en principe unique de la vie, risque d'éclipser l'importance du motif sentimental dans les actions humaines. La notion de la sensibilité morale joue un rôle central dans la théorie esthétique et dans la théorie morale de Diderot. De même que l'efficacité morale du théâtre et des autres arts découle de l'identification des spectateurs, produite par leur sensibilité morale, la notion empirique de "modificabilité", qui présuppose l'exercice de la sensibilité morale, donne au déterminisme implacable de Diderot les moyens de se corriger lui-même. La pensée morale de Diderot se trouve au confluent de la tradition shaftesburienne de l'Ecole du sens moral, qui fonde la morale sur la sociabilité naturelle, et de la tradition hobbesienne, qui explique toutes les distinctions morales par le calcul rationnel de l'intérêt. La contribution de la théorie des sentiments moraux, par l'intermédiaire de Hume, à la concep-tualisation de la sociabilité naturelle dans la pensée morale de Diderot, contrebalance la théorie politique hobbesienne, qui postule l'artificialité de la loi et de la morale.